A l’occasion de la deuxième édition Radio Tintamarres, préparée par Radio Activité avec les personnes accueillies aux Amarres, l’équipe de l’accueil de jour pour hommes isolés en parcours d’exil a pu prendre la parole sur les difficultés rencontrées au sein du centre depuis son installation en octobre 2022.
L’accueil des personnes en exil est éminemment lié à des enjeux géopolitiques et politiques. Les dispositifs et directives qui en découlent en France ont un impact direct sur les conditions d’accompagnement et de travail des équipes sociales.
Si nous saluons les récents dispositifs mis en place à destination des personnes ukrainiennes, facilitant leur accès aux droits et l’hébergement, nous rappelons ainsi la nécessité de les pérenniser et de les appliquer à tout.es, sans exception.
Retrouvez ci-dessous la capsule de leur tribune, bercée d’engagement et d’espoir pour des conditions d’accueil et de travail plus dignes. L’intégralité de l’émission est à retrouver sur le Soundcloud des Amarres.
Le texte
Quand l’équipage a embarqué sur le bateau pour la première fois, il s’attendait à une croisière bien moins mouvementée que celle qu’il connait. La promesse était belle, un bateau itinérant qui aurait à son bord des personnes exilées en recherche d’un nouveau port accueillant. On pensait avoir une tour de contrôle et un background logistique opérationnel pour aider des personnes en rechercher de nouveaux horizons, en toute sécurité. L’équipage a bien vu que certains ports étaient difficiles à atteindre, qu’il fallait parfois se battre contre vents et marées pour espérer se poser et baisser les voiles.
Malgré ça, l’équipe a continué de grandir et de hisser les voiles, quelle que soit la météo. On a tenté de réparer un bateau parfois endommagé par des tempêtes qui avaient l’air toujours plus violentes.
Lors du premier voyage, l’ouragan Saint Denis a remis à la mer de nombreuses personnes qui avaient trouvé refuge sur les plages, attendant patiemment dans des paillotes de fortune. L’espoir de l’ouverture du port a été brisé, démunis et sans gilets de sauvetage, cet ouragan a affaibli nos capacités et les leurs.
Nous avons quelques mois plus tard subis la tempête Afghane. Le navire étant déjà endommagé, nous avons puisé dans les dernières ressources du bateau, sans avoir eu le temps de se ravitailler. Les passagers alarmés face à cette tempête, nous guettions tous l’arrivée d’un navire de sauvetage. Mais rien à l’horizon. Tout l’équipage était sur le pont, prêt à braver la tempête et garder un semblant d’espoir, mais tous nos moyens de communication étaient brouillés.
Puis est survenu le tsunami Poutine. À l’abri sur notre navire, nous avons tenté de protéger les personnes déjà présentes, mais tous les ports ont été submergés par l’arrivée de nouvelles vagues, impossible de mouiller au port. Notre seul moyen de communication est tombé à l’eau, et nos cris, nos SOS, ont rejoint les abysses.
Malgré l’effort collectif, le goût du voyage et de l’aventure, les réserves du bateau n’ont cessé de s’épuiser, toujours sans possibilité de se ravitailler. Les phares de l’OFPRA, de l’OFII et de la préfecture restaient éteints, pris d’assaut par un pirate Dublinois. Ce pirate, connu de tous, a réussi à envahir l’Europe et prendre possession des frontières. Le moyen de tuer ce pirate sanglant se trouve seulement entre les mains des dirigeants européens.
Dans l’attente d’un nouveau vent plus doux soufflé par les politiques publiques, nous continuons, armés de notre bonne volonté, de pagayer à contre-courant, mais le mal de mer persiste.
Pour autant, le bateau n’a pas encore coulé, il continue d’avancer et de recruter de nouveaux matelots prêts à larguer les amarres, pour accoster vers des ports plus accueillants, munis de bouée d’espoir…